jeudi 13 décembre 2012

Hypnotique

Par Mythos,

Le Post-Metal a souvent le goût apocalyptique d'une destruction totale du monde qui nous entoure, chaque note sonne comme l’anéantissement minutieux de toute entité vivante.  L'album du groupe Hypno5e, Acid Mist Tomorrow, me fait vraisemblablement cet effet dévastateur. Les guitares plongent dans des cris incertains, une voix (en français) nous raconte avec poésie une histoire désespérée, soutenue par un chant parfois criard, parfois mélodique, alternance Dionysos/Apollon d'une décadence lente et subliminale. De la souffrance née la beauté. Beauté apocalyptique d'une destruction en musique. 

Hypno5e joue dans le registre d'un Elend, album conceptuel animé par une voix radiophonique qui nous raconte une histoire étrangement belle. Le tout est soutenu par un Metal puissant et mélodique, comme si nous étions entrainé dans un tourbillon dont nous, pauvres auditeurs, ne pourrions jamais ressortir indemne. Acid Mist Tomorrow fait partie incontestablement de ces grands albums dont l'écoute n'est jamais terminée, dont on découvre continuellement plus de nouveautés. Il ne faut donc surtout pas s'arrêter à une écoute, écoutez le une première fois, puis laisser une semaine passer entre la première et la deuxième écoute. Vous aurez l'impression d'une madeleine proustienne dévorée avec plaisir et voluptée. Comme si la destruction première devait à chaque fois recommencer, éternel besoin rédempteur de déconstruire pour mieux reconstruire. Car à la fin de l'album on ne se sent pas détruit, ni épuisé, mais au contraire purifié. Hypno5e parvient le challenge d'une réunion réussie entre un Dionysos destructeur et un Apollon dont la mesure parvient à contenir l'hybris de départ. 

Une grande partie du registre d'Hypno5e provient de la musique martiale et industrielle, on a l'impression d'un mélange de Death In June, Heldentod parfois même Arcana, avec un Metal brillant de complexité et d'harmonies destructrices. Les références font pâlir mais Hypno5e s'en sort avec brio. Cet album est une belle pépite, un formidable moment de découverte musicale. 

 

jeudi 6 décembre 2012

Au-delà des collines

Voyage au cœur du Metal Roumain

Par Mythos,

Dordeduh
La Roumanie, île latine au milieu d’un océan de cultures germano-slaves, « la petite France » comme la surnomment certains. Si loin de la France et pourtant si francophone. A l’extrémité continentale de l’Europe et au carrefour des cultures latines, slaves, et byzantines. En France on ne retient que ce que les médias veulent bien nous montrer de la Roumanie, les Roms et les chiens errants. Pourtant la Roumanie à beaucoup de choses à offrir pour celui qui saura dépasser les préjugés médiatiques. On ne ressort pas indemne d’un voyage dans ce pays si on sait se laisser porter par le charme discret de la Transylvanie, la Valachie ou de Bucarest. Et vous en profiterez pour y découvrir la culture Metal. Pour les métalleux la Roumanie c’est Negură Bunget (« Forêt brumeuse » en roumain). Depuis qu’ils se sont fait remarqué avec leur à présent mythique album Om le groupe roumain est en état de grâce et fait le tour des festivals d’Europe, dont bien sûr notre très respecté Hellfest à Clisson.

Si le Metal roumain est aujourd’hui incarné par un groupe de Black Metal, ce ne fut pas toujours le cas. Comme dans beaucoup de pays d’Europe dont la France et la Hongrie, le Metal s’est d’abord exporté à travers le Hard Rock et le Heavy Metal (ou la NWOBHM). En France nous avons Sortilège, Satan Jokers, ADX, en Hongrie le mythique Karthago, et bien en Roumanie ils ont Phoenix (1962), Iris (1976) et Trooper (1995). Ces groupes ont marqué une génération entière. Et la particularité de ces groupes est d’avoir préservé leur langue d’origine sans avoir eu à pencher vers l’anglais, comme ont pu le faire d’autres groupes. Voilà pourquoi la plupart de ces groupes n’ont pas percé internationalement. Ils n’en sont pas moins bons. On a en Russie l’exemple d’une telle erreur de jugement, Aria, fondé en 1985, est un groupe qui aurait très bien pu talonner de près Iron Maiden. Mais on connaît beaucoup d’erreurs comme celle-ci.

Le Metal Roumain d’aujourd’hui est bien différent, deux branches se sont développées dans le pays, la branche extrême incarnée par Negură Bunget, et la branche symphonique incarnée par Magica. Ces deux mouvements se développent parallèlement. D’un côté nous avons des groupes de Black (folk, pagan, atmosphérique, parfois teinté de Doom) comme Dordeduh, Fogland, Bucovina, Aabsynthum. Et de l’autre des groupes de Heavy/Thrash (symphonique, classique, progressif) comme Thunderstorm, Tenebreant, Defender, Cargo qui s’inscrivent dans la lignée des premiers groupes de Heavy précités.

La première branche, extrême, est plutôt représentée dans le nord du pays, en Transylvanie. Les groupes de black sont surtout orientés « paganisme » ou « atmosphérique ». Cela s’explique facilement par le milieu géographique dans lequel se développent ces groupes. La Transylvanie est en effet connue pour sa moyenne montagne pittoresque, aux grandes forêts encore naturelles (c’est ici que réside les ¾ de la population des ours et plus de la moitié de celle des loups d'Europe), aux brouillards intenses s’étalant sur les monts et collines. Cela influence forcément le style musical, et on le retrouve très bien chez Negură Bunget comme vous le savez sans doute, ou chez Bucovina et plus récemment chez Dordeduh (issu du split de Negură Bunget). Un Metal dark et atmosphérique, teinté de folk et instruments traditionnels roumains, on retrouve toute l’ambiance de la Transylvanie d’hiver. Si vous voulez plonger dans cette Roumanie je ne peux que vous conseiller l’album de Dordeduh, une ode à la beauté naturelle du pays Roumain, encensé dans la presse musicale Metal par ailleurs.

La deuxième branche est plus traditionnelle donc, s’inscrivant dans la Roumanie magique, celle qui parle de loups garous et de vampires. Cette Roumanie là existe aussi. C’est celle qui comme tout autre groupe de Heavy Metal Symphonique s’inspire de contes et légendes (à la manière d’un Rhapsody). Le style est moins extrême, à la Magica, dont le chanteur est en fait une chanteuse, mélange de Heavy traditionnel et de groupe à chanteuse symphonique. 

Dans les deux cas le Metal qui s’y développe est un Metal qui s’inspire des traditions, soit par l’ambiance d’un lieu (branche extrême) soit par les légendes populaires (la branche Heavy). Alors selon votre orientation, faites votre choix, je vous laisse à présent écouter quelques uns de ces groupes. 

Dordeduh (Black/Folk) :  


Magica (Heavy Symphonique) :


Negură Bunget (Black Atmosphérique) : 

  

lundi 3 décembre 2012

La mémoire des pierres

Voyage au cœur du Metal Péruvien

Par Mythos,  

Quand je voyage dans un pays étranger j’aime beaucoup écouter la musique locale, les groupes qui s’y développent que nous ne connaissons pas forcément en France mais qui n’en sont pour autant pas moins bons. On découvre souvent de belles pépites et on en apprend souvent sur la culture musicale du pays en question. Ma recherche s’appuie évidemment en grande partie sur le Metal comme vous vous en doutez. 

Mon voyage au Pérou a évidemment été l’occasion de découvrir la scène péruvienne, complétement inconnue en France, à la différence de d’autres pays pour lesquels on est capable de citer au moins un groupe, Negura Bunget pour la Roumanie par exemple, Arkona la Russie, le Pérou ? Nada senor... Il fallait donc y remédier. La chose n’a pas été facile. Au Pérou point de Fnac, Virgin et autres grands monuments du capitalisme musical. Autant vous dire que pour un étranger c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Il y a bien ces grands centres de piratages (des mètres et des mètres carrés de piratage ! ) mais ils ne vendent que des groupes type « easy-listening » donc rien de probant pour moi… 

C’est donc vraiment par un heureux et improbable hasard que j’ai réussi à me procurer certains des albums les plus connus des groupes péruviens, dans une ville appelée Puno (celle qui mène au lac Titicaca), qui aux dires du bon vieux Routard « est à éviter ». Dans un bar caché dans une ruelle assez sale, un jeune nous hèle pour nous inviter à aller dans son bar, jeune aux cheveux longs et tee-shirt noir. Et là surprise, le petit jeune est fan de Metal, je lui explique mon problème et celui-ci me propose aussitôt d’aller acheter les albums pour moi, improbable générosité métalleuse péruvienne ! Il me balance alors des groupes aux noms évocateurs et sonorités métalliques, Anal Vomit, Black Angel, Inri, Hadez, Nahual. Et à mon plus grand étonnement ces groupes affichent des albums datant pour la plus part des années 80 ! Sacro-sainte année du Metal s'il en est ! Création de Metallica, Slayer, Morbid Angel, Candlemass et j’en passe ! Tout à fait étonnant pour un pays qui n’est pas du tout baigné dans la culture occidentale je dois dire. Ces groupes se sont développés donc très tôt, et premier constat, la scène Metal péruvienne est vieille, très vieille. On savait déjà que l’Amérique Latine était fan de Metal, puisque les plus gros concerts d’Iron Maiden par exemple se font au Brésil, ceux de Rage Against the Machine au Mexique etc. Mais que ces pays développaient leurs propres groupes au même moment que la scène occidentale c’est plus étonnant, et d’autant plus intéressant. Mais cela peut s’expliquer à mon avis pour une raison finalement très simple. 

Le Metal se développe la plupart du temps surtout dans les pays où la religion a eu, ou a encore, un impact fort. En occident, c’est notable. Mais on pensait moins à l’Amérique Latine. Or, au Pérou notamment, l’Eglise Catholique est très très influente, trop diraient certains, car ceux ne sont pas nos petits prêtres français qui gambadent en campagne, non ici ceux sont des évangélistes reconnus qui prêchent dans les bus, dans la rue, à l’école, les maisons qui affichent sur leur porte d'entrée "nous sommes catholique"… Voilà pourquoi à mon avis le Metal s’y est très vite développé, comme une réponse à l’omniprésence religieuse, comme toujours. Et tout comme en Norvège ou Finlande la scène qui s’y est développée a puisé ses racines dans les traditions ancestrales. Références à l’inquisition espagnole, aux rites Incas etc. Le tout a fourni donc une scène très extrême. Être métalleux dans un pays comme celui-ci est donc d'autant plus dur, il faut affirmer chaque jour sa passion, au risque de voir les gens vous regarder d'un mauvais oeil, tout comme en Inde (voir à ce propos l'article paru dans le magazine Metallian n°74). 

Au Pérou les groupes sont surtout Black ou Death, parfois teintés de folk (retour aux traditions, contre le christianisme) mais pas souvent Heavy. Et le plus étonnant c'est que je voyais des jeunes en assez grand nombre porter des tee-shirts de groupes de Metal, chose moins courante en France (ce qui l'était déjà plus il y a quelques années). Ceci m'a donc agréablement surpris. La recherche n'a pas été vaine. Le Pérou est un pays de métalleux, il ne nous reste plus qu'à découvrir ces groupes qui sont restés cantonnés à l'échelle nationale, ce que je vous invite à faire en fouinant dans la rubrique de Spirit of Metal : Pérou

En voici déjà quelques uns.

Ch'aska, groupe de Folk Metal : 


Anal Vomit, groupe de Death : 


Black Angel, groupe de Black : 

samedi 1 décembre 2012

Fantaisie post-core

V.I.T.R.I.O.L, Memories of a dead man

Par Mythos,

Je n'ai pas pour habitude d'écouter du hardcore, encore moins du post-core. Je n'ai découvert ce genre que très tardivement dans mon parcours de métalleux. Surement parce que je trouvais -à tort ou à raison- le hardcore trop jeune, trop adolescent, trop puéril, une sorte d'avatar extrémiste du thrash en quelque sorte. Je n'étais donc pas spécialement préparé à écouter ce genre. Je n'en avais ni l'envie, ni la curiosité. Jusqu'à ce que je tombe sur l'album V.I.T.R.I.O.L du groupe Memories of a dead man. Surprise agréable. Comme quoi il ne faut jamais trop se laisser camper sur ses préjugés. Pour être honnête je ne sais plus très bien comment je suis arrivé à lancer l'album sur mon lecteur, le nom du groupe me faisait agréablement penser au Vieil Homme et la Mer de Hemingway et je me suis laissé aller à cet fantaisie, l'histoire du combat du pêcheur contre le marlin en tête. Le tout collait assez bien, de longs passages criés planant sur des guitares saturées me faisaient penser au tumulte des vagues en pleine tempête, l'orage prêt à éclater sur le navire, les combattants ne se souciant presque pas du mouvement extérieur, concentrés sur l'issue de la bataille ("Under the Cross"), le jeune Manolin (compagnon du vieux pêcheur) essayant d'apaiser la tempête, symbolisé par ces passages si connus du post-core ("Insomniac Animal"), passages chantés en voix clairs, entrainants, faisant office des choeurs dans le Power Metal. Le tout incarnant à merveille la vision que je me faisait du bon vieux Vieil Homme et la Mer

Tandis que "An ode to myself" est selon moi le parfait exemple d'une transition réussie dans un album de Metal, harcelé par les chansons précédentes, Memories of a dead man nous laisse profiter d'un repos bien mérité de près de 5 minutes (ne vous y trompez pas, un repos en post-core c'est pas non plus le ménestrel de "Skalds and Shadow" de Blind Guardian bien sûr...). Le combat reprend pour s'achever dans un "INRI" final, tradition métallique, guitares apaisées, batterie en demi mesure, les voix se font plus puissante pour un final en toute beauté. On est de nouveau entrainé pour 7 minutes de vogues avec le groupe et le vieux pêcheur, pour mon plus grand bonheur. 

Première écoute post-core, première bonne surprise. Je le recommande chaudement, et petite précision chauvine, ils sont originaires de Chartres !



Art et Metal

Essai d'une comparaison entre la théorie nietzschéenne de l'art et la musique Metal.

Par Mythos,

Nietzsche, l'art comme expression de la volonté de puissance

Le roi Midas part à la recherche du sage Silène (compagnon de Dionysos) et lui demande quel est le bien suprême selon lui, Silène lui répond : « Misérable race d’éphémères, enfants du hasard et de la peine, pourquoi m’obliger à te dire ce que tu as le moins d’intérêt à entendre ? Le bien suprême il t’est absolument inaccessible : c’est de ne pas être né, de ne pas être, de n’être rien. En revanche, le second des biens, il est pour toi, c’est de mourir sous peu ».  

C’est dans cette perspective que s’inscrit l’art selon Nietzsche, nous réconcilier avec le tout originaire (la vie) en même temps de nous apprendre à supporter cette vision tragique de la vie (la mort inévitable). L’art nous permet d’affronter la dureté de la vie, comme toute culture elle est « bildung » (formation de soi), elle nous apprend à vivre, elle nous apprend à supporter le tragique de la vie humaine tel que nous le raconte Silène. C’est donc nécessairement par lui que la volonté de puissance devait s’exprimer (= force par laquelle tout être se maintient dans l’être), elle se manifeste dans l’art comme fondement métaphysique de tout être. Si l’art est l’expression de la volonté de puissance (volonté de vivre) alors l’art est tout entier réconciliation avec l’Un-primordial (chaos avant le cosmos, avant l’individuation), réconciliation avec la nature, réconciliation avec notre nature subversive, animale et pure.
Chaque art porte à une échelle différente cette vision, dans la dualité classique de l’apollinien et du dionysiaque (Apollon/Dionysos, Mesure/Démesure). De la belle apparence des formes, de la simplicité, de la clarté, le « voile enchanteur » de « la profonde horreur du spectacle du monde », face à Dionysos. Car cette « profonde horreur » c’est précisément ce que révèle le dionysiaque, « l’arrière fond originel du monde », la perte du sujet, l’abolissement de la subjectivité « jusqu’au plus total oubli de soi », la réconciliation avec la nature. La modération face à l’hybris grecque. Au fond de chaque individu mesure et démesure s'équilibrent tout en se contrastant, quand le premier mène à l'illusion l'autre mène à l'Un-primordial (la vérité naturelle), "au centre du moi qui se nie comme sujet individuel, pour n'être plus que le sujet cosmique de la démesure" (Angèle Kremer Marietti). D'un côté le principe de raison suffisante, de l'autre la "démesure humaine" (Par delà le bien et le mal). La symbolique Apollon/Dionysos n'est là que pour nous montrer que l'art a pour seul but de révéler la démesure en tout homme, la bestialité, pour s'affranchir de la raison toujours dominante, pour mieux comprendre et accepter le tragique de l'existence, sous la forme de la catharsis d'Aristote. 

Selon Nietzsche c’est la tragédie grecque portée par Eschyle qui se rapproche le plus de cette notion. La plus parfaite réconciliation de l’apollinien et du dionysiaque. L’idée que l’art rend l’existence supportable en nous réconciliant avec « le fond le plus intime du monde », en associant la belle forme de l’apollinien à la démesure dionysiaque, nécessaire à la révélation du tragique de la vie, comme moyen de mieux le supporter. Car lorsque l’art abandonne l’élément dionysiaque il entre en décadence, comme la « tragédie raisonnant d’Euripide », il n’est plus que mensonge et « voile enchanteur » de la vérité naturelle.  Si Dionysos a une telle importance c’est que Nietzsche conçoit l’art avant tout comme la fusion de l’homme et du devenir primitif, l’art est la perte du sujet dans la vie qui le dépasse, il va exprimer « l’image de tout ce qu’il y a de terrible, de cruel, d’énigmatique, de destructeur, de fatal au fond de l’existence », il rend possible l’ivresse, la volonté de destruction, qui suppose en parallèle celle de création artistique. Car le désir de destruction est le désir créateur supérieur, vraiment dionysiaque, celui qui nous réconcilie avec l’Un-primordial. L'homme, en tant que "dissonance" incarnée a besoin de la tragédie, seule capable de justifier son être contradictoire (bien/mal).
Car qu’est ce que la vérité suprême au fond si ce n’est la connaissance de notre condition de mortel, la connaissance de notre état ante-cosmos, lorsque le monde était encore chaos, tout originaire, « l’état de nature » comme dirait Rousseau (l'opposition démesure/mesure est en fait celle chez Rousseau de nature/culture). Et l’art est l’expression de cette volonté, qui doit nécessairement être esthétique, transcendé par un état physiologique proche de l’ivresse dionysiaque, l’art nous permet de nous faire prendre conscience de cette vision tragique de la vie, comme recherche existentielle, qui ne peut être saisie que par une visée esthétique. C'est pourquoi "l'art dionysiaque reçoit la fonction de délivrer l'homme aussi bien de la connaissance purement rationnelle, que de l'action et de la souffrance" (Angèle Kremer Marietti).

Quintessence dionysiaque et expression musicale


Selon moi, l’héritier de cette vision nietzschéenne de l’art est nécessairement la musique Metal. La musique était déjà pour Nietzsche l’art par excellence, l’incarnation de la volonté car la « tragédie est enfantée par l’esprit de la musique » (l'origine de la tragédie est le choeur des satyres). Le Metal apporte la touche évidemment dionysiaque à la musique. Si la figure de Satan est si présente dans le Metal, dans sa réalité culturelle : le signe des cornes du diable comme symbole de ralliement des métalleux (adeptes de métal), comme dans sa réalité musicale : utilisation du triton (intervalle musicale considérée comme maléfique au Moyen-Âge), ce n’est pas un parti pris religieux, mais pour plonger ce style dans la destruction dionysiaque nietzschéenne. Satan dans l’histoire des religions, est l’héritier direct de Dionysos, le dieu fourchu à corne. Ce n’est évidemment pas par hasard si Satan est représenté par un bouc, tout comme les satyres dionysiaques. Synthèse de l’homme et du bouc, satan, ou les satyres, sont les symboles de cette réconciliation de l’homme avec l’Un-primordial, de l’homme avec la nature, de l’homme avec l’animal qu’il était avant l’individuation apollinienne (principe de raison). Et si c’est Satan qui est représenté plus que Dionysos dans le Metal ce n'est que parce que le Metal est né dans une culture chrétienne avant tout *.

Le Metal symbolise donc ce renouement avec la vision nietzschéenne de l’art.

1. D’un point de vue culturel d’une part. Le dionysiaque est la négation du principe d’individuation, et « par le chant et la danse l’homme manifeste son appartenance à une communauté supérieure ». Le Metal se rapproche évidemment beaucoup de cette notion, comme l’ont montré Alexis Mombelet et Nicolas Walzer dans leurs études sociologiques respectives sur la communauté des métalleux, ce qu’il y a de très prégnant dans cette culture musicale c’est le sentiment d’appartenance à une « communauté supérieure » soudée, qui a l’impression de connaître la vérité du tout originaire. Les danses pogos et circles pits sont les héritiers directs des bacchanales de l’antiquité, d’une communion autour de la passion pour une même musique. Chaque participant se perd dans cette union fraternelle, jusqu’au plus total oubli de soi, jusqu’au slam rédempteur qui vous donne l’impression de vous élever vers cette nature toute dionysiaque. Les concerts et festivals de Metal montrent d’un point de vue social ce rapprochement avec l’art dionysiaque. Lorsque les groupes mettent en scène tout un dispositif spectaculaire comme Rammstein avec les éléments pyrotechniques ou Behemoth avec les pentagrammes enflammés ou le jeu de scène incarnant l’ivresse dionysiaque et la force, alors l’union avec l’Un-primordial est accomplie (abnégation du sujet dans une vérité plus profonde). Car comme l’explique Nietzsche « l’essentiel dans l’ivresse est le sentiment de force intensifié » (Le Crépuscule des Idoles), chose que sait à merveille faire des groupes comme Marduk ou Taake lors de leurs concerts. Nietzsche explique en effet que c'est avant tout l'artiste qui doit ressentir cette ivresse, et "
l'état d'ivresse, en tant qu'état physiologique, peut provenir soit d'un breuvage, soit du printemps, soit d'une extase spirituelle" (Angèle Kremer Marietti). Les groupes de Metal sont effet connus pour leur shows grandiloquents, souvent provocateurs, car expressions de la volonté de puissance.

2. D’un point de vue musical ensuite cela est encore plus évident. Le Metal fonde ses origines dans le désir de destruction. Chaque accord nous donne l’impression d’assister à l’apocalypse, à l’impression d’une force supérieure unique et véritable. Candlemass (Doom Metal) y arrive avec véhémence, les accords sont lourds, pesants, tandis que les paroles nous parlent du tragique de la vie (comme le veut la tragédie antique d’Eschyle) « let me die in solitude » (Epicus Doomicus Metallicus) ou « trought the infinitive halls of death » (Tales of Creation). Chaque genre métallique nous invite à contempler l’hybris dans sa plus profonde démesure, le Death Metal dans la violence, le Black Metal dans la destruction, le Doom Metal dans la mort, le Heavy Metal dans la mythologie. Le Post-core est actuellement le genre le plus à même de vous faire ressentir ce sentiment d'abnégation, d'oubli total de soi face à un monde apollinien (raison). Mais à chaque fois cela nous permet de supporter la connaissance du tragique de la vie « pour de brefs instants, nous sommes réellement l’être originel lui-même, nous ressentons son incoercible désir et son plaisir d’exister… Nous connaissons la félicité de vivre, non pas comme individus, mais en tant que ce vivant unique qui engendre et procrée » explique Nietzsche.

Le Sublime


L’art dionysiaque explore le côté laid du monde, le dysharmonique et le monstrueux selon Nietzsche. C’est évidemment ce que fait le Metal en esthétisant la violence ou le gore, les pochettes de Cannibal Corpse  ou celles de Morbid Angel le montrent très bien. Nul besoin de faire une étude sémiologique de l'iconographie du Metal pour le voir. Mais le plus important dans la musique dionysiaque c’est que dominent la dissonance, la stridence et les rythmes violents. Le chœur exalté des satyres, dans sa surexcitation, renvoie au spectateur de la tragédie l’image d’une bestialité sauvage. Le Metal incarne parfaitement cela, la stridence du chant des groupes A Forest of Stars et Der Weg Einer Freiheit par exemple, les rythmes violents de Anorexia Nervosa dans Redemtion Process, les cœurs exaltés de Blind Guardian dans Nightfall in Middle-Earth sont autant d’exemples qui renvoient à cette vision horrifique du monde. Mais ce spectacle qui devrait faire naître l’effroi et la terreur chez l’auditeur ne fait en fait que naître en lui l’allégresse et l’enchantement « l’aiguillon furieux de ces tourments vient nous blesser au moment même où nous nous sommes, en quelque sorte, identifiés à l’incommensurable joie primordiale à l’existence, où nous pressentons, dans l’extase dionysienne, l’immuabilité et l’éternité de cette joie ». Cette maîtrise artistique de l’horrible, de l’hybris grecque, n’est autre que le Sublime. Sentiment que ressent tout amateur de Metal à l’écoute de son groupe préféré, à l’écoute de Árstíðir Lífsins, Candlemass, Dornenreich, Electric Wizard, et j’en passe. Le Sublime est la transcendance de cette vision tragique de l’existence, l’esthétisation de la volonté de puissance.

Le problème évident que sous-tend l'expression dionysiaque est de se demander si on peut tout esthétiser, jusqu'aux plus horribles états d'inconsciences humaines juste au nom de l'art ? Mais le problème est simple, soit l'on conçoit l'art comme un état séparé des autres occupations humaines, comme une catharsis justement, dont la distance représentationnelle rendrait la vision de l'horrible esthétisée acceptable, soit au contraire on pense l'art au côtés des autres occupations comme la politique par exemple, alors le principe de moral rentre évidemment en compte et l'art est soumise à la censure et la surveillance (comme le préconise Platon dans La République). Mais Nietzsche est partisan de la première vision, et tant que cette vision nietzschéenne de l’art ne sera pas comprise alors les critiques qui s’adressent au Metal seront toujours aussi fausses, toujours aussi inutiles. Et le Metal toujours incompris aux yeux de la plupart des gens, renforçant par là ce sentiment d’appartenance à une « communauté supérieure » chez les métalleux. Chose qui fait aussi évidemment tout son succès et sa beauté aux yeux des adeptes de musiques extrêmes, de musique dionysiaque. La seule qui nous apporte la vérité de l’Un-Primordial.  Car finalement le Metal comme "le mot 'dionysiaque' exprime un besoin d'unité, un dépassement de la personne, de la banalité quotidienne, de la société, de la réalité, franchissant l'abîme de l'éphémère; l'épanchement d'une âme passionnée et douloureusement débordante en des états de conscience plus indistincts, plus pleins et plus légers; un acquiescement extasié à la propriété générale qu'a la Vie d'être la même sous tous les changements, également puissante, également enivrante; la grande sympathie panthéiste de joie et de souffrance, qui approuve et sanctifie jusqu'aux caractères les plus redoutables et les plus déconcertants de la Vie: l'éternelle volonté de génération, de fécondation, de Retour: le sentiment d'unité embrassant la nécessité de la création et celle de la destruction" (Nietzsche fragment 1888).

* La présence du "satanisme" dans la musique metal ne doit pas être pris à mon sens comme "la religion satanique" (culte de Satan) comme on a souvent la tentation de le croire, mais bien comme un symbole, celui du "bouc", de la synthétisation de l'homme avec la nature, non d'un quelconque culte satanique. Cela a déjà été maintes fois rappelé par les spécialistes du Metal (voir à ce propos le reportage Voyage au Coeur de la Bête réalisé par Sam Dunn).


Les citations sont toutes issues de La Naissance de la Tragédie de Nietzsche, si ce n'est pas le cas la source est spécifiée entre parenthèses.

Bibliographie : 
Vocabulaire de Nietzsche : http://fr.scribd.com/doc/40273653/Patrick-Wotling-Le-vocabulaire-de-Nietzsche
La Naissance de la Tragédie Nietzsche
L'Âge du Metal Robert Culat
Anthropologie du Metal extrême Nicolas Walzer
Articles de Alexis Mombelet : ici 
http://www.dogma.lu/txt/AKM-Demesure.htm
http://www.lettres-et-arts.net/arts/70-l_art_comme_modele_pour_la_philosophie_nietzsche